Rodica, 34 ans, professeure d’anglais dans une école publique. 320 euros mensuel.

« En plus de mon travail, je donne des cours particuliers qui sont bien mieux payés. Mon mari travaille de temps en temps, il n’a pas de salaire fixe. La location de l’appartement nous coûte 150 euros. On se débrouille, enfin, on survit. Mes parents nous aident. Depuis la campagne, ils nous envoient des légumes et des fruits. Un jour, je pense que je partirai. Je le ferai pour mes enfants même si c’est difficile de laisser mes parents ici. J’espère que mes enfants ne vivront pas ici. La situation du pays est tellement instable. Je n’ai aucun espoir que cela change. »

Ion, 67 ans, retraité et gardien de parking. 200 euros mensuel.

« J’ai la chance d’avoir ma propre maison que j’ai construite à l’époque soviétique. J’avais un bon salaire car j’étais ingénieur-chef dans un kolkhoze, c’était bien. Aujourd’hui c’est plus dur et les prix ne cessent d’augmenter. Et pour les jeunes, c’est compliqué de fonder une famille. Les Moldaves s’en vont à l’étranger parce qu’il n’y a que des salaires de misère ici. »

650 000 habitants vivent dans la capitale moldave appelée Chişinău en roumain et Kichinev en russe.

Natalia, 25 ans, actrice. Environ 60 euros mensuel.

« J’ai choisi ce métier parce que je ne veux pas rester assise derrière un bureau. Quand je joue dans des spectacles de marionnettes pour enfant, cela me rapporte 5 euros. Pour une pièce de théâtre, je gagne 23 euros. Je touche aussi une bourse de 36 euros pour un master. J’habite avec mon ami dont la mère travaille en Italie. Elle lui envoie de l’argent, ça nous permet de payer l’appartement. Je me débrouille mais c’est difficile, parfois je fabrique moi-même mes habits. J’ai pensé quitter la Moldavie mais je ne veux pas perdre mes amis et ma famille. Je préfère rester ici et faire quelque chose qui me plaît. »

Sergiu, 41 ans, ouvrier dans le bâtiment en Russie. De passage en Moldavie, il retape le balcon de son frère. Entre 500 et 1 000 euros mensuel, parfois rien.

« J’avais un ami Moldave qui vivait en Russie. Je l’ai rejoint en 2004, avec une dizaine d’autres personnes des villages aux alentours. J’avais un bon contrat mais l’entreprise a fermé. Je gagnais 880 euros par mois et en plus, je travaillais au noir. Je suis parti juste pour me faire de l’argent. J’étais marié, ma femme n’est jamais venue en Russie et nous nous sommes séparés. Je ne veux pas revenir en Moldavie, il n’y aucune perspective. Ce n’est pas difficile de vivre à l’étranger car tous mes amis sont aussi en Italie et en Russie. Ce que je pense de mon pays ? Je ne sais même pas comment le formuler. La politique ne m’intéresse pas. Je ne pense pas que le pays puisse changer. »

Partie de volley au pied des immeubles du parc Morilor. La ville regorge d’immenses parcs, lieux de balades et de détente des habitants de la capitale.

Nina, 60 ans, retraitée et balayeuse. 160 euros mensuel.

« J’ai travaillé dans une usine de meubles qui a fermé en 1995. J’ai une retraite de 45 euros et je gagne 115 euros pour le travail que je fais. Les rues sont sales, il faut les nettoyer mais on est mal payé. J’ai deux enfants, l’un est ingénieur à Toulouse. C’était mieux à l’époque soviétique. Tout était moins cher, on pouvait se permettre de manger de la viande. Aujourd’hui, j’en mange beaucoup moins qu’avant. »

Alexandru, 20 ans, étudiant.

Au dessus de lui, le portrait de sa mère partie travailler à l’étranger. « Je vis avec mon frère de 23 ans dans un studio. Mon père est resté au village, il était ouvrier mais il est au chômage depuis que l’usine a fermé. Depuis quatre ans, ma mère est aide à domicile en Israël, elle a trouvé cet emploi par le biais d’une agence. Elle nous envoie de l’argent et rentre à la maison seulement une semaine par an. »

Le marché aux puces de Chişinău s’étend tout autour de la gare. Nombreux sont les retraités qui viennent vendre quelques bricoles pour compléter leur maigre revenu.

Ana (pseudo) 50 ans, médecin. Environ 600 euros mensuel dont un tiers de pots-de-vin.

« À l’hôpital public, je gagne entre 130 et 160 euros par mois, à l’hôpital privé, entre 205 à 230 euros. Je ne peux pas m’en sortir avec cet argent. Donc je suis corrompue, c’est ainsi que fonctionne la société moldave. Mes patients me déposent des pots-de-vin sur le bureau qui me rapportent entre 180 à 230 euros par mois. S’ils ne me donnent rien, je ne les soigne pas. J’en ai honte, je déteste cette situation mais je n’ai pas le choix. J’aimerais arrêter et avoir un salaire décent mais il n’y a pas d’argent dans les hôpitaux publics. L’ordinateur et l’imprimante, c’est moi qui les ai achetés. Il me faut une motivation pour aller au travail, c’est celle d’aider les personnes âgées qui n’ont pas d’argent, je ne leur demande pas de pots-de-vin et je les soigne. »

Andrei, 23 ans, serveur. Entre 230 et 320 euros mensuel.

« La location de mon appartement me coûte 57 euros. Mon salaire est de 77 euros plus un pourcentage sur les ventes et les pourboires. Je travaille beaucoup : de 10h à minuit et le week-end, jusqu’à deux heures du matin. Ça me fait des mois entre 230 et 320 euros. J’aimerais partir parce que la situation est instable et que les restaurants et bars ferment les uns après les autres. Je n’ai pas d’enfants, c’est pour ça que je m’en sors. Notre pays est beau, mais les hommes politiques au pouvoir nous font souffrir. Il y a de gros problèmes économiques et des soucis dans le domaine de la santé et de l’éducation. Ils devraient s’occuper de la population. »

La diaspora moldave, qui travaille aux États-Unis, en Europe occidentale ou encore en Russie, envoie de l’argent au pays et permet aux habitants de compléter leurs revenus. Il n’est pas rare de voir des Moldaves disposant du dernier smartphone tout en vivant à plusieurs dans un appartement d’une pièce.

Larisa, 59 ans, retraitée. À Cricova, une ville à proximité de la capitale. 100 euros mensuel plus du travail au noir.

« J’ai travaillé 25 ans comme ingénieure dans un domaine viticole dans le sud de la Moldavie. Il a fermé il y a huit ans. J’ai une bonne retraite si je la compare aux autres. Mais ce sont aussi mes enfants, qui habitent en Roumanie, qui m’aident financièrement. En ce moment, je me lève à 4h du matin, je prends le bus pour la capitale où je garde des enfants toute la journée. Je ne sais pas combien je vais être payée à la fin du mois, peut être 10 euros par jour. Dans les années 1980, on vivait bien, les salaires étaient stables. Mon mari dirigeait un kolkhoze, il était communiste, pas moi. »

Andrei, 27 ans, comptable dans une entreprise italienne. 300 euros mensuel.

« Je n’aime pas mon métier, je dois rester toute la journée devant mon ordinateur, mais je le fais pour l’argent. C’est tellement compliqué de trouver un emploi. Donc quand tu en as un, tu le gardes et tu n’en changes pas. Les Italiens qui font la même chose que moi, ils sont payés six à sept fois mieux. D’un point de vue économique, c’est normal, d’un point de vue moral, ça ne l’est pas. Sous l’Union soviétique, mon père était chef de production dans un atelier de tannerie, et il gagnait mieux sa vie qu’aujourd’hui. Avec la chute de l’Union soviétique, il a perdu son travail. Pendant cette période nous n’avions rien à manger, c’est ma grand-mère qui, de la campagne, nous donnait des légumes. J’ai pensé partir à l’étranger mais ma famille et mes amis sont plus importants que l’argent. »

Les minibus souvent bondés, appelés «Rutieră», sont le moyen de transport le plus rapide et circulent dans toute la ville. Un trajet coûte 3 lei (13 centimes d’euro) tandis qu’il faut payer 2 lei (9 centimes d’euro) pour utiliser les trolleybus, plus lents.

Tania, 23 ans, employée dans une association caritative. 320 euros mensuel.

« J’ai 160 euros avec ce travail mais j’ai aussi d’autres activités, comme animatrice, qui me permettent de gagner à la fin du mois 320 euros. J’ai pensé partir comme tous les jeunes mais j’ai trouvé ce travail ici et j’ai envie de m’investir encore plus. Si je n’y arrive pas, je partirai d’ici. Chez nous, la corruption a atteint un niveau très élevé. Il y a une instabilité politique et un système oligarchique qui crée de la « panique » chez les gens qui ne savent plus quoi faire, ni qui croire. Avant il existait un espoir, plus maintenant. Beaucoup de jeunes sont partis et les vieux qui restent sont nostalgiques du système soviétique. »

Viorel, 28 ans, animateur d’une émission politique + d’autres activités. 2 000 euros mensuel.

« J’ai vécu dans une famille pauvre, à la campagne. Nous ne mourrions pas de faim, mais par exemple nous n’avions pas de jeux à la maison. Aujourd’hui, je ne vis pas dans le luxe et je n’en ai pas envie mais j’ai un bon niveau de vie. Je peux me permettre de voyager. Si je veux boire du bon vin dans un restaurant, je le fais. Si je perds mon téléphone, je peux le changer sans me demander si j’en ai les moyens. Après l’Union soviétique, le système est resté le même : le peuple moldave ne se sent pas capable de prendre d’initiative et il attend qu’un chef lui dise ce qu’il doit faire. Je crois que je ne suis pas différent des autres, même si j’essaie de l’être. »

Le monument « Eternitate » commémore les morts de l’armée soviétique qui ont libéré la ville et le pays à la fin de la seconde guerre mondiale. C’est ici que se tient la cérémonie du 9 mai marquant la capitulation de l’Allemagne nazie.

Maria, 55 ans, ouvrière dans une usine de chaussures. Entre 135 et et 180 euros mensuel.

« Ça fait plus de 20 ans que je travaille ici, mon salaire varie en fonction du nombre d’heures que je fais chaque semaine. Mais c’est déjà bien d’avoir ça plutôt que rien. »

Le parc Riscani dans le quartier éponyme en fin de journée où les familles viennent se détendre.

Eudochia, 65 ans, retraitée et bibliothécaire. 180 euros mensuel.

« Je gagne 115 à 120 euros par mois, plus des primes parfois et ma retraite est de 55 euros et puis mes enfants m’aident financièrement. Je ne peux pas me permettre de manger tout le temps correctement mais je suis heureuse ici au milieu des livre. Je lis, j’ai des relations avec le public, je suis contente, c’est mieux que de rester chez moi. »

Pacha, 50 ans, livreur pour une petite entreprise. 200 euros mensuel.

« Ça fait quinze ans que je fais ça. On a tous besoin d’un travail même si ça ne nous plaît pas. Je n’ai pas de loyer à payer, car l’appartement appartient à ma femme depuis l’époque soviétique. Par contre, chaque mois, j’en ai pour 70 euros de charges. Ma femme travaille en Espagne dans une pizzeria, elle gagne 1 200 euros et m’envoie de l’argent. Nous avons acheté une maison là-bas, et nous avons un crédit de 5 000 euros à rembourser à la banque. C’est difficile de vivre à distance avec ma femme. On se parle sur skype, elle revient de temps en temps. Ce sont des années de perdues mais on est obligé de vivre comme ça. »

Sur la rue Ciuflea : au fond l’hôtel National abandonné au pied duquel vivent des SDF, à droite le monastère Sf. Teodor Tiron. La quasi totalité des Moldaves sont orthodoxes.

Olga, 37 ans, directrice d’une agence de communication. 2 000 euros mensuel.

« Je m’occupe de la gestion et de la stratégie de l’entreprise, j’ai douze employés. Je suis satisfaite de mon travail. On n’est pas très riche mais ça marche bien. J’ai une belle vie, une fille et un mari qui travaille lui aussi. En Moldavie, il y a une évolution positive, je suis optimiste, c’est aussi mon caractère. Je lis moins qu’avant, je ne m’intéresse plus à l’actualité de mon pays comme auparavant. Si tu le souhaites, tu peux changer ta vie mais il faut s’en donner les moyens. Bien sûr qu’il existe de la corruption, on est le pays le plus pauvre d’Europe. Le problème c’est que les Moldaves sont flemmards, ils ne pensent pas à ce qu’ils pourraient apporter pour faire évoluer le pays. »

Vitalie, 30 ans, doctorant à l’académie des sciences. 135 euros mensuel plus des bourses de l’étranger.

« J’ai obtenu une bourse d’un projet européen, je touche 400 euros en plus des 135 euros de l’État moldave, donc je vis relativement bien mais cette bourse s’arrête dans six mois. Ici, si tu n’as pas de relations, tu ne peux pas te faire financer tes recherches, la corruption domine tout. Il faudrait briser ce cercle vicieux. Plus tard, j’aimerais créer une ONG de protection de la nature pour sensibiliser les jeunes. Ils veulent tous être journaliste, avocat, médecin, policier ou politicien. Peu de gens s’intéressent aux questions environnementales. »

La statue de Lénine a été déplacée du centre à la périphérie de la ville. Tous les 21 janvier, jour de la mort de Vladimir Ilitch, des membres et sympathisants du Parti Communiste Moldave (au pouvoir de 2001 à 2009) se rassemblent ici.

Maia, 78 ans, retraitée. Á Cricova, une ville à proximité de la capitale. 250 euros mensuel de l’État russe.

« J’ai été ingénieure géologue dans une mine de zinc et de plomb en Russie pendant 12 ans et demi. Puis, je suis venue ici, travailler dans une autre mine. J’ai la double nationalité : Russe et Moldave. Je touche une retraite de l’État russe et je m’en sors. Ce qui ne serait cas le cas en Russie. Avant, les gens étaient plus déterminés, ils savaient ce qu’ils avaient à faire. Aujourd’hui tout est détruit, les entreprises sont fermées, ce pays est complètement instable. Mais j’aime la Moldavie même si on y vit comme sur un volcan. »

Valeriu, 19 ans, étudiant. 150 euros mensuel.

« Ma mère vend des produits de beauté sur le marché. Je travaille pour elle depuis l’âge de 13 ans. Ce n’est pas un emploi officiel, mais comme j’habite chez mes parents, ce sont eux qui me donnent de l’argent. Ils gagnent plus que la moyenne. Il y a des vieux qui ont fait la guerre, qui ont travaillé toute leur vie et qui touchent aujourd’hui 45 euros de retraite, ce n’est pas normal. J’aimerais ouvrir mon entreprise de construction, c’est le secteur qui marche le mieux en Moldavie. Je ne veux pas partir. Je suis bien ici même si c’est un pays chaotique où les dirigeants sont corrompus. »

Départs de bus et de mini-bus pour l’Europe et notamment l’Italie où résident officiellement 150 000 Moldaves qui travaillent bien souvent comme aide à domicile, dans la restauration et le bâtiment.

Sveltana, 34 ans, mère au foyer. 1 500 euros mensuel envoyé par son mari.

« Avant, je touchais 230 euros par mois comme comptable mais j’ai arrêté quand j’ai eu mon premier enfant. Mon mari est parti à Londres, il travaille dans le bâtiment et m’envoie de l’argent. Quand j’ai su qu’il allait partir, ça m’a empêché de dormir. J’ai eu besoin d’une période d’adaptation, maintenant c’est la routine, je me suis habituée. La majorité de mes amis sont partis eux aussi. Quand je pense a la situation actuelle du pays, ça me donne envie de pleurer et je ne pense pas qu’elle puisse s’améliorer.»

Vue de la capitale moldave. Le pays qui fut autrefois « le grenier de l’URSS » en fournissant légumes, fruits et vins aux autres républiques socialistes, reste encore très rural et 55% de la population vit à la campagne.